Norton Cru, auteur d’un ouvrage critique de la littérature de guerre, Témoins, Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, paru en 1929, réfléchit très tôt à la restitution de ce drame qu’il vit, comme ses camarades poilus. Il attend des auteurs combattants une description sincère de leur tragique expérience et une fidélité « à la pensée du front », aux sentiments des soldats, relatés sans lyrisme ni fiction. Plusieurs sources peu utilisées donnent à voir la préparation de cet ouvrage. Sa correspondance de guerre témoigne de son projet littéraire, auquel il associe sa famille. Les annotations écrites de sa main sur les livres constituent un instrument génétique précieux de son ouvrage. Ses ouvrages (donnés à la Faculté des lettres d’Aix-en-Provence par la famille Cru), lus plusieurs fois et annotés à plusieurs reprises pendant la préparation de Témoins, dévoilent la mise au point d’une méthode critique, et prouvent le souci de confronter l’exactitude des récits avec celui d’autres combattants. La correspondance que certains auteurs entretiennent avec N. Cru, après 1920, fait apparaitre des amitiés littéraires, des affinités, des désaccords profonds. A la sortie de sa publication, N. Cru attend la critique des premiers lecteurs : ses courriers dessinent un autoportrait intellectuel original et traduisent la sensibilité de ce critique littéraire intransigeant, inquiet d’être mal compris. Ces sources testimoniales confirment une continuité de pensée de N. Cru et une exigence pour la vérité, depuis la guerre.