Le flou, en photographie ou au cinéma, est en général synonyme d’un défaut technique qu’on cherche le plus souvent à éviter, afin de proposer une image la plus « nette » possible. Or, certains cinéastes contemporains (tels qu’Andreï Tarkovski, Théo Angelopoulos ou Nuri Bilge Ceylan, entres autres) utilisent de manière redondante le flou, mais non pas un flou optique ou un flou numérique créé en post-production (comme le font certains artistes et plasticiens), mais un « flou naturel ». Si, avec le sfumato, Léonard de Vinci a mis au point un effet pour réaliser une imitation parfaite de la nature, certains réalisateurs opéreraient, eux, le schéma inverse : utiliser les spécificités ontologiques de la nature pour créer un effet artistique. A partir des singularités de ces « images atmosphériques » (et notamment leur lien direct avec la nature et ses principes de fonctionnement), émane une poétique de l’incomplétude, qui implique une participation active du spectateur. De plus, la redondance de ce type d’images au sein de nombreux films contemporains instaure une appréhension du monde par le biais d’un écran naturel, qui redouble l’écran de projection et souligne donc paradoxalement le dispositif cinématographique.