La question du retour est centrale dans le cinéma de Robert Kramer. Retour aux Etats-Unis après dix ans d’absence dans Route One Usa « Coming back (...) not home but back ». Il ne s’agit pas d’un retour nostalgique au pays mais bien de prendre la mesure de ce qu’il est devenu après huit ans de reaganisme. C’est aussi le retour du personnage de Doc qui apparaît dans Ice (1970), Doc’s Kingdom et Route One USA. A travers Doc, nous assistons à vingt ans d’engagement, de la jeunesse idéaliste prête à tous les sacrifices et toutes les violences, à la maturité qui ne se rend pas. Ce personnage de fiction est au cœur du dispositif si particulier de Route One USA, nous incitant à mettre en doute ce que nous estimons documentaire et à penser notre rapport au cinéma. C’est enfin le retour sur la matière même des films dans Dear Doc qui, par le remploi d’extraits ou de rushes non montés de Doc’s Kingdom et de Route One USA, en propose une nouvelle lecture, met en lumière leur processus de fabrication. Dans le tissu rhizomatique que les trois films construisent, s’élabore la dimension critique de l’œuvre : du rejet d'un monde injuste et violent à celui du cinéma dominant, cette « monoforme » dirait Peter Watkins aliénante et simplificatrice dont il s’agit de déconstruire le pouvoir de fascination.